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Cameroun : Basile Atangana Kouna, ses montres de luxe et ses grosses cylindrées

« Sauve qui peut ! » 1/6. Le 11 mars 2018, l’ancien ministre de l’Eau et de l’Énergie de Paul Biya est arrêté au Nigeria, peu de temps après avoir passé la frontière. Soupçonné de détournement de fonds, il est renvoyé manu militari à Yaoundé. « Jeune Afrique » vous propose, en exclusivité, le récit de cette folle échappée.

C’est dans son véhicule, une Mercedes de couleur sombre aux vitres teintées, que Basile Atangana Kouna et son épouse quittent leur domicile, le 9 mars 2018. C’est un vendredi. Leur chauffeur, Adam Bladi, est au volant. Il ne sait rien de ce déplacement improvisé, si ce n’est que son patron, limogé du gouvernement une semaine plus tôt, est attendu à Petrolex Ngousso, carrefour animé de la capitale. Le « maître d’hôtel » du couple, Jean-Baptiste Fouda Belinga, a lui aussi pris place à bord. Il est près de 14h lorsque la petite troupe arrive au point de rendez-vous.

Passeport confisqué

Un second véhicule les y attend. Un tout-terrain V8 cette fois, aux plaques d’immatriculation jaunes, caractéristiques de l’armée camerounaise. Le chauffeur reconnaît Edouard Sakpam, un adjudant de gendarmerie, ainsi que l’abbé Loïc Nkodo, vicaire de la paroisse de Mokolo. Un homme s’installe au volant, qui se fait appeler Ibrahim. Une valise et deux mallettes sont discrètement déposées dans le coffre. Le maître d’hôtel et l’épouse rebroussent chemin, tandis que les cinq hommes prennent place à bord. Les rues de Yaoundé défilent, puis les quartiers périphériques, et bientôt la route du Nord. Adam Bladi ne sait pas encore que le périple doit tous les conduire à l’extérieur du pays.

Si l’ancien ministre de l’Eau et de l’Énergie a pris soin de préparer ce voyage à l’insu de ses plus proches collaborateurs, c’est parce que, depuis quelques jours, tout Yaoundé bruisse des rumeurs de son arrestation imminente. Pour ce haut fonctionnaire de l’administration, en service depuis le milieu des années 1980, ce n’est pas quelque chose que l’on prend à la légère. Son prédécesseur au ministère, Alphonse Siyam Siewe, n’a-t-il pas payé son manque de vigilance ? Soupçonné de détournement de deniers publics, il a été arrêté, jugé et condamné en décembre 2007. Trente ans de prison en première instance, la perpétuité en appel. Atangana Kouna n’envisage pas un instant de finir derrière les barreaux.

Ancien agent des services de renseignement, il sait reconnaître les signes précurseurs d’une arrestation imminente

Il y a quelques jours, ses collaborateurs ont été refoulés aux portes du palais présidentiel, alors qu’ils tentaient pour la troisième fois d’introduire une demande d’évacuation sanitaire en vue d’une intervention médicale en France. Ancien agent des services de renseignement, il sait reconnaître les signes précurseurs, et cela ne sent pas bon. D’ailleurs, il fait également l’objet d’une interdiction de sortie de territoire. Sa décision est prise : il doit partir.

Lancé à 100 km/h, le bolide avale l’asphalte

En service à la Sécurité militaire, Edouard Sakpam a accepté de l’aider, après que le vicaire Nkodo a plaidé en sa faveur. Assis côté passager à l’avant du véhicule qui fend la nuit de ce mois de mars, il aide à franchir les innombrables contrôles routiers qui pullulent sur la route qui mène à la frontière avec le Nigeria. Car telle est la destination du bolide qui avale le tapis asphalté à une vitesse moyenne de 100 km/heure. Dans le véhicule, le silence règne. L’ancien ministre se remémore-t-il les moments forts de sa carrière ?

C’est en 1985 que le natif de Ngoumou (Centre) rejoint la fonction publique, grâce à un recrutement spécial de 1 500 jeunes lancé par le président Paul Biya. L’année d’après, il est nommé à la tête du service des affaires administratives et juridique de la Direction générale des relations extérieures (DGRE). Il y travaille avec le tout-puissant patron des renseignements d’alors, Jean Fochivé. Quelques années plus tard, il décroche un doctorat en droit à l’université de Paris II puis obtient, en 1992, un diplôme à l’Institut international d’administration publique de Paris (IIAP).

Ce séjour parisien ne l’a pas éloigné du renseignement. En France, il tient à l’œil les opposants au régime de Paul Biya. Il abreuve sa hiérarchie de bulletins de renseignements quotidiens (les fameux BRQ), ce qui lui vaut d’être remarqué. « C’était un esprit brillant, doté d’une capacité de synthèse exceptionnelle », témoigne un ancien collègue.

Lucre et ragots

De retour au Cameroun, Atangana Kouna intègre les services du Premier ministère et gravit les échelons. D’abord chargé d’études à la direction des Affaires législatives et réglementaires, il se voit ensuite confier la direction des Affaires administratives et des requêtes, puis la présidence de la commission d’attribution des marchés au ministère de l’Agriculture. Des positions au cœur du gouvernement qui le rapprochent des barons de la République et notamment d’Albert Cherel Mva qui fut, jusqu’à son décès en 2008, un confident de Paul Biya.

Le destin d’Atangana Kouna bascule en 2002. Alors que l’État peine à finaliser le processus de privatisation de la Société nationale des eaux du Cameroun, le chef de l’État le nomme administrateur provisoire. Désormais à la tête d’une compagnie dotée de près de 20 milliards de F CFA de capital, Atangana Kouna a les mains libres ou presque. « La SNEC ne disposait pas de conseil d’administration, explique un connaisseur du dossier. La présidence se contentait donc de ce que l’administrateur provisoire lui fournissait comme informations, sans réelle contre-expertise. »

À la même époque, il devient également chef d’entreprise. Face à l’accroissement constant de son parc automobile, son banquier lui suggère de créer une entreprise de location de voitures. Ce qui sera fait en 2010, avec le lancement de Trinity SARL. Le jeune administrateur attire les regards et son goût supposé pour le lucre alimente les ragots des salons feutrés de la capitale.

Huit ans plus tard, sur les routes du département du Mayo-Louti. La frontière n’est plus très loin, l’adjudant Sapkam et le vicaire Nkodo s’arrêtent là. Atangana Kouna, Ibrahim et Adam Bladi changent une nouvelle fois de voiture. Pour continuer, ils ont choisi une discrète Toyota Starlet. Sitôt la frontière passée, les plaques d’immatriculation camerounaises sont échangées avec des plaques nigérianes. Direction Bauchi.

Cartes de crédit, carnets de chèque et devises étrangères

Les fugitifs font escale au « Command Guest House », un hôtel contrôlé par des militaires nigérians. Ibrahim y est comme chez lui. Connu des services de renseignement camerounais, ce dernier était l’homme de main du ministre. Atangana Kouna s’en est séparé six mois plus tôt. Son casier judiciaire mentionne plusieurs plaintes pour escroquerie et pas moins de trois passages en cellule. Si l’ancien ministre a fait appel à lui, c’est parce qu’il connaît bien le Nigeria. Il parle d’ailleurs couramment haoussa et se présente aux divers contrôles de police comme originaire de Maiduguri.

Adam Bladi ne lui fait pas confiance. Surtout que depuis qu’ils sont arrivés à Bauchi, Ibrahim fait tout pour ralentir le voyage. Il faut dire qu’il connaît les rumeurs qui circulent sur l’opulence d’Atangana Kouna et que les deux millions de francs CFA qui lui ont été remis pour qu’il les convertisse en naïras ont achevé de le convaincre que les valises déposées quelques heures plus tôt dans le coffre de la voiture étaient pleines d’argent.

Ibrahim ne perd pas de temps. Grâce à ses connections dans la ville, il a réussi à trouver une bande de malfaiteurs, avec lesquels ils préparent un guet-apens. Mais cela suppose que le départ pour Abuja, prévu le matin du 11 mars, soit reporté au soir.

Nez à nez avec le gang armé !

L’attente se prolonge donc et les esprits s’échauffent dans le hall de l’hôtel. Adam Bladi et Ibrahim se querellent et leur attitude intrigue le personnel de l’établissement, qui redoute la présence d’activistes ambazoniens voire de membres de Boko Haram. Le manager du « Command Guest House », un colonel de l’armée nigériane, les interroge donc et leurs réponses ne le convainquent pas.

Pour y voir plus clair, il fait appel à la police. Il est 19 heures. Six agents débarquent et interpellent les trois fugitifs au terme d’une intervention musclée. À leur sortie de l’hôtel, ils tombent nez à nez avec le gang armé… qui prend immédiatement la fuite.

Il n’est pas rare de le voir à Kondengui, costume trois-pièces et montre à gousset en main, avec ses faux airs de lord britannique sous les tropiques

Le 12 mars, Atangana Kouna et ses deux compagnons sont remis aux services de renseignement nigérians, auxquels les autorités camerounaises ont confirmé qu’ils étaient bel et bien recherchés. La cavale aura duré deux jours. Les trois hommes seront conduits à Abuja le jour même, puis remis aux forces de l’ordre camerounaises le 21 mars. Le 22, ils sont rapatriés à Yaoundé par un vol spécial et immédiatement placés en détention. Seul Ibrahim, qui s’est présenté comme Nigérian, échappe à ce retour forcé.

Atangana Kouna aura été l’administrateur provisoire de la SNEC jusqu’en 2005. Il aura par la suite été le directeur général de la Camwater, l’entreprise née sur les cendres de la SNEC, de 2006 à 2012. Ce sont ces années-là qui intéressent le Tribunal criminel spécial (TCS) et qui sont à l’origine de ses ennuis judiciaires.

Il sera poursuivi dans le cadre de plusieurs procédures pour détournement de derniers publics. Après son arrestation, outre les véhicules de luxe et les biens immobiliers, plus de 825 millions de FCFA seront saisis dans les coffres que l’ancien ministre conservait dans deux banques de la place.

Condamné à un an de prison pour « émigration illégale », Atangana Kouna a aussi écopé de trois ans de détention, le 23 septembre dernier, pour « prise d’intérêt dans un acte ». Mais ses ennuis ne sont pas terminés, puisqu’il est toujours poursuivi pour détournement de fonds. Sa détention préventive, l’ancien golden boy – que les mauvaises langues s’étaient amusées à surnommer ‘Don Basilio’ – la passe dans une cellule de la prison centrale de Kondengui. Il n’est pas rare de l’y voir, costume trois-pièces et montre à gousset en main, avec ses faux airs de lord britannique sous les tropiques. On ne se refait pas.

 

 

Jeune Afrique