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Crise anglophone : Field Marshall, leçons de la mort d’un chef de guerre

L’annonce du décès de ce chef des combattants ambazoniens peut être porteuse d’opportunités sur l’issue du conflit dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Analyse.

Dans les milieux politiques et sécuritaires depuis le début de la crise anglophone, c’était devenu un nom fameux, parce qu’il avait non seulement commis des exactions meurtrières sur le terrain et aussi par son discours sur les réseaux sociaux qui menaçait l’Etat du Cameroun et prouvait son invincibilité, et la configuration montagneuse du territoire où il était confiné (parce qu’il n’a jamais agi hors du Lebialem), faisaient en sorte que tous les efforts de l’armée pour l’arrêter étaient sans succès. Alors du coup, on pouvait le prendre au sérieux. Toutefois, il faut aussi reconnaître que depuis près d’un an, on n’a plus entendu parler de lui, parce qu’il y’a eu un certain nombre d’ opérations militaires qui ont décimé toutes ses forces de sorte qu’on a même assisté à l’arrestation de son épouse. Donc, il se cachait, et dans un premier temps, faisait des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux mais, depuis six mois il avait totalement disparu.

Pour autant la situation sécuritaire n’avait pas évolué de manière significative. Ce qui démontre que les graines qu’il avait semées sur le terrain ont germé et commencé à produire même sans lui. Le nom de Field Marshall, c’est le grade le plus élevé jamais attribué par des forces armées. C’est celui qu’on lui a attribué, en réalité, il s’appelle Oliver Lekeaka , il était un servant dans la cour de la chefferie de Lewo dans l’arrondissement d’Alou, département du Lebialem. Très jeune, il commence par être un aide maçon. Son frère aîné, Chris Anu, était le porte parole du Shadow cabinet, le gouvernement virtuel des ambazoniens installés à l’étranger. C’est ce grand frère qui serait le lien de financement entre la diaspora et lui. Il était le porteur d’un discours qui touchait aux tréfonds des cœurs dans une population sous scolarisée qui pensait qu’à court terme leurs revendications devaient venir à la chute du régime de Yaoundé et déclarer l’indépendance de l’État fantoche de l’Ambazonie.

Signification sur le plan opérationnel

Au demeurant, d’après des sources de militaires en activité dans le Lebialem, la mort de Field Marshall, n’a aucune signification sur le plan opérationnel, parce qu’il n’est plus opérationnel depuis un an, donc ça n’a aucun impact. Par contre sur le plan de la logique stratégique de l’Etat du Cameroun, ça peut avoir une importance particulière dans la mesure où il était porteur de deux types de discours. L’un, discours des opérations farouches qui fait face à une armée organisée et qui pousse le bouchon jusqu’à la fabrication des armes artisanales de courte et moyenne portée et qui a appris la science de la fabrication des engins explosifs improvisés, qui a porté des coups durs aux forces armées camerounaises. Et il était aussi le lien entre les combattants ambazoniens et la diaspora.

 

Il était aussi un symbole, pour certains qui croient à des forces occultes pour faire le combat. On le disait maître Odeshi, de cette pratique censée rendre invulnérable au combat. Sa mort, lui qui s’en était proclamé un roi, devrait pousser à réfléchir. Mais, la plus grande importance c’est l’impact psychologique, ceux qui voudraient s’engager dans cette voie devraient réfléchir à la façon dont ce « roi » a fini sa vie. Il est mort comme un rat, avec plus d’un an de cachette et ensuite neutralisé comme un bébé. Ça veut dire que son discours était irréel et ne protège pas, ne donne pas la force nécessaire.

L’autre leçon est qu’il y a une logique dans les combats actuels. Il est préférable de servir un peuple, soit l’Etat ou la population. A terme, si on se sert soi-même on court au péril à chaque bataille. Par contre si on sert l’Etat, qui est légal et légitime, il va nous protéger. Si on sert les populations, elles sont majoritaires, elles vont éviter qu’on se retrouve en péril, elles vont nous donner des informations pour le faire, elles vont nous servir de rempart, elles vont nous donner la protection nécessaire.

 

Célébrer cette disparition ?

Field Marshall a longtemps donné aux populations l’impression qu’il les servait, qu’il défendait leurs intérêts. Mais il y a des vidéos qui montrent des exactions sur des populations, il arrêtait des parents, les fouettaient, il faisait des enlèvements et kidnappings contre fortes rançons. A la longue, ces populations en avaient ras-le-bol. Il s’est retrouvé peu à peu seul, sans ses redoutables Red Dragons, décimés par les opérations militaires, sans le soutien des populations. Au demeurant, les populations ont joué un rôle déterminant dans sa fin tragique. Cette funeste destinée devrait donner matière à réflexion aux candidats rebelles.

Peut-on célébrer cette disparition ? Peut-être le Cameroun devrait-il tirer avantage de sa disparition, pour construire un discours et œuvrer un peu plus à l’apaisement. Des actions d’influence, des actions civilo-militaires, des projets de développement et montrer que l’Etat est prêt à tout pour protéger ces populations. De même, toutes ces démarches doivent intégrer les populations concernées à tous les niveaux de la construction de la décision et de sa mise en œuvre sur le terrain. Il faut œuvrer pour que l’école reprenne, il faut mettre le Lebialem sous cloche et l’étudier, lui apporter le soutien dont il a besoin après les actions des Red Dragons. Il faut le guérir des meurtrissures de la guerre. Il faut que le Cameroun saisisse cette opportunité, pour que Lebialem qui est une particularité, serve d’exemple et fasse tache d’huile. Si les autres groupuscules voient que : fort de cette fortification géographique, fort du soutien matériel et financier de la diaspora, malgré la témérité de leur leader, le Lebialem a capitulé, ça va refroidir des ardeurs.

Ce n’est pas un conflit à pacifier avec la force, il faut plutôt procéder par un discours et une vision convaincants qui doivent s’accompagner d’actes concrets. La promesse de la Ring road (route circulaire qui devait relier tous les départements des régions anglophones), vieille des indépendances attend ainsi d’être réalisée. Les forces déployées doivent être conscientes des enjeux et se déployer en conséquence. La victoire au Lebialem a été celle de la population et si la population est révoltée par les actes des forces armées, elle va se retourner contre elles et se sera l’échec. En 1974, le militaire français David Galula, a écrit un livre reportant son expérience de la guerre d’Algérie, et repris en 2006 par le général David Petraus, théorisant la contre insurrection, ils préconisent qu’au lieu de s’attaquer aux insurgés, il vaut mieux poser des actes qui attirent les populations vers soi. L’action doit être menée des salles de pensée vers le terrain dans le but de ne pas seulement combattre avec les armes mais, d’imposer un discours rationnel et durable.

 

 

Le Jour