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Il n’a pas été emmené au SED pour qu’on lui demande s’il avait fait quelque chose, mais pour qu’il donne les détails sur ce qu’il avait fait.

L’interpellation de Jean Pierre Amougou Belinga dans l’affaire de l’assassinat de Martinez Zogo a donné un coup d’accélérateur à l’enquête, en même temps qu’elle a permis d’ouvrir la boite de Pandore. Désormais il convient de raser la marmite jusqu’au fond 

Ce n’est pas encore officiel, mais c’est déjà public. L’homme des affaires Jean Pierre Amougou Belinga ne connaissait pas seulement quelque chose sur l’assassinat sauvage du journaliste Martinez Zogo, car quelque chose est bien peu, il savait tout, et ce crime n’aura en effet été que la goutte d’eau qui a débordé le vase, et permit qu’éclate au grand jour tout ce qui était caché. Il a été arrêté à son domicile aux premières heures du matin le 6 février 2023, et la logistique déployée pour cette opération laissait présager le niveau de son implication.

Dans l’intervalle, entre l’enlèvement de Martinez le 17 janvier 2023 suivi de l’assassinat, la découverte du corps et son interpellation, les réseaux d’influence autour de l’homme des affaires avaient entrepris d’effacer autant de preuves que  possible, d’organiser une campagne de blanchiment de son image au moyen de l’argent liquide qui coulait à flot, touchant tous les acteurs de la société crédités d’une quelconque influence sur l’opinion. Le journaliste J. Remy Ngono a à cet effet reçu une offre de 70 millions de francs cfa pour se taire et laisser l’homme des affaires tranquille, offre qu’il a poliment déclinée en rappelant qu’il ne prenait pas l’argent du sang. Faisant preuve d’une hauteur et d’une pudicité qui  sont des valeurs pas toujours partagées.

Depuis l’arrestation de l’homme des affaires Jean Pierre Amougou Belinga, les enquêtes sont allées vite, et ont confirmé la conviction selon laquelle avec un peu de volonté politique les suspects devaient être connus au plus vite, car l’expertise israélienne dont bénéficie le Cameroun en matière de sécurité lui donne de l’avance. L’homme des affaires a donc été interpellé en connaissance de cause, sur la base des premiers éléments à charge qui étaient disponibles. Et il n’a pas été  emmené au Secrétariat d’Etat à la défense pour qu’on lui demande s’il avait fait quelque chose, mais pour qu’il donne les détails sur ce qu’il avait fait. Il n’aurait pas eu d’autre choix que de passer à table, et d’après les informations déjà publiques et pas officielles, ces détails sont d’une froideur et d’une cruauté indescriptible.

Dès le premier jour de son arrestation, la romancière Calixte Beyala décriait l’aveu par le suspect de 11 crimes déjà, et il promettait d’en déballer, avec l’implication de bien d’autres intouchables  de la république. Mais l’affaire suit encore son cours. L’enquête une fois bouclée par la commission mixte gendarmerie police, devra donner lieu à une inculpation formelle avant que ne s’ouvre la procédure judiciaire, au bout de laquelle le ou les coupables devront être déclarés à l’issue d’un procès équitable, selon la formule consacrée. Mais il ne faut pas perdre de vue cette citation du poète français Jean de la Fontaine dans la fable Les animaux malades de la peste, citation vielle de plus de 350 ans mais qui reste d’actualité : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »  

C’est cette société malade, en crise des valeurs, qui produit les monstres comme les assassins du journaliste et d’autres victimes antérieures. Le mal est plus profond que ne le montre les apparences, la pieuvre a des tentacules et des ramifications plus qu’étendue

Gangrène

Quel que soit le ou les coupables désignés en fin de compte, il reste constant qu’un ou des Camerounais ont commandité le meurtre, et que d’autres Camerounais ont exécuté la sale besogne. Autant le travail consistera à extirper la gangrène de la société, autant il serait important de se poser les questions essentielles : comment la société camerounaise est-elle arrivée à fabriquer de pareils monstres, combien sont-ils, que sont-ils capables de faire, jusqu’où peuvent-ils aller, de quels moyens financiers disposent-ils ? Le premier constat est que pour exécuter de pareilles besognes il faut disposer des moyens financiers conséquents, en mesure de faire perdre le bons sens à un humain dont la précarité camerounaise prédispose déjà à la tentation. Il faut ensuite pouvoir payer le silence, nettoyer autour, éliminer tout risque de fuite et s’appuyer même sur des complices bénéficiant d’une immunité présumée, c’est-à-dire occupant des postes de pouvoir à des niveaux divers ou ayant à leur disposition la logistique nécessaire. En somme il faut avoir le pouvoir et l’argent, ou avoir l’argent et s’allier les services de celui qui a le pouvoir et vice versa, les deux éléments étant inséparables. Cela nous ramène à la question de la gouvernance politique et de la transparence financière. Comment le pouvoir s’acquiert et se conserve au Cameroun, comment accède-t-on au pouvoir et à des postes de responsabilités ?

Une autre citation vieille de près de 200 ans, celle de l’historien et philosophe anglais Emerich Acton, dit que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Les mécanismes institutionnels, et surtout les pratiques au Cameroun permettent-elles de contrôler la gestion du pouvoir et éviter qu’il ne devienne absolu, pour corrompre absolument ? Et la transparence financière, comment devient-on riche au Cameroun, comment amasse-t-on les fortunes ? A la faveur d’un décret qui propulse à une fonction, ou en gagnant des marchés publics fictifs ? La fortune des gestionnaires des fonds publics est pourtant supposée être sous contrôle d’après l’article 66 de la constitution. Mais quel que soit le moyen par lequel on gagne de l’argent, « à quoi sert-il de gagner le monde ; si tu perds ton âme » ?

A l’instar du pays des animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine, le Cameroun est un pays malade, de ses pratiques, de ses habitudes, de ses institutions, de ses valeurs, bref d’un mal qui répand la terreur partout, jusqu’aux extrêmes comme l’illustre le meurtre de Martinez Zogo. C’est cette société malade, en crise des valeurs, qui produit les monstres comme les assassins du journaliste et d’autres victimes antérieures. Le mal est plus profond que ne le montre les apparences, la pieuvre a des tentacules et des ramifications plus qu’étendues, et la potion curative va au-delà de l’emprisonnement d’un assassin. Avec la mort de Martinez Zogo l’abcès a été crevé, il faudra curer complètement le caniveau, sinon l’assassin livré pourra se trouver être un sacrifié, dans le but de mieux protéger la pieuvre.

 

Roland Tsapi Radio Balafon